Samedi 18 septembre

-           T’es super nul !

Suis devant la glace de la salle de bain en train de me trémousser.

Nath’ est venue cet après-midi me faire répéter quelques pas de danse et trouver la tenue adéquate pour ma rencontre avec ZE copine de Jules.

Le problème est que j’ai du mal à bouger. Suis paralysé par l’angoisse qui monte en moi au fur et à mesure que l’heure fatidique approche.

-           Pourtant ma mère danse très bien, je tente pour me défendre. Dans la famille, on a le rythme dans le sang.

-           Oui, ben, toi, t’as un sacré problème de circulation, me balance Nathalie en travers de la tronche.

***

17h00

­– Nath’ m’a fait apprendre trois-quatre chorégraphies façon Kamel Ouali[1]. Reste à trouver la tenue parfaite pour cette soirée.

-           C’est quoi le genre de cette fille ? me demande Nath’.

-           Comment veux-tu que je le sache, je ne la connais pas.

-           Vous allez où ?

-           A L’Extra !

-           C’est quoi ça ?

-           Une boite gay.

-           Bon, c’est une fille à pédés, quoi ! soupire Nath’.

-           M’en fiche de lui plaire à elle. C’est Jules qui compte.

-           Erreur fatale ! Si tu ne plais pas à cette connasse, tu risques gros. Plaire aux amis, c’est super important. Les mecs sont très sensibles à ce que disent les filles. Si elle décide que tu n’es pas le garçon qu’il faut à Jules, je ne donne pas cher de ta peau.

-           C’est ridicule. Si Jules ne te plaisait pas, tu me découragerais de sortir avec lui ?

-           …

-           Il te plait Jules au moins, demandé-je inquiet à Nath’.

-           …

-           Réponds-moi, enfin : il te plait Jules, n’est-ce pas ?

-           Tu vois que l’avis des copines est important pour un mec. Tu flippes parce que je ne te réponds pas.

-           Oui, ben justement, maintenant va falloir parler. Il te plait Jules, hein ?

-           Disons que vous êtes très différents !

-           …

-           Autant tu es un peu coincé, autant Jules est très expressif.

***

Mais non, je suis pas coincé.

***

00h30

– La preuve : je danse comme un fou sur la piste.

La copine de Jules n’est pas encore arrivée. Sort jamais avant

1h30.

Une vraie parisienne qui attend que l’ambiance soit au top pour faire son apparition et pas se mélanger aux ringards qui débarquent à

23h.

01h00

– Jules me traîne dans les toilettes de la boîte.

-           Faut que je te dise un truc, il a le regard qui fuit le mien.

-           Vas-y !

-           J’ai rien dit à Natacha.

-           A propos de quoi ?

-           De toi.

-           …

Ne sais pas trop comment je dois prendre cette nouvelle.

-           C’est que je voulais lui faire une surprise.

Oui, et pour l’instant, c’est moi qui suis surpris. Et c’est pas un cadeau. Il me tire par le bras et m’entraîne sur la piste.

Jules s’approche de moi et commence à danser d’une manière très… suggestive.

C’est vrai que c’est très « expressif », comme dirait cette conne de Nath’.

01h30

– Une fille se jette sur mon cavalier, lui cache les yeux et l’embrasse à pleine bouche. Elle traîne derrière elle un mec, grand, mince, les cheveux mi-longs. Pédé ? Pas pédé ? Difficile à dire.

La fille ne me jette même pas le moindre petit regard. Elle attrape Jules par la main. Le fait tourner. Il rit aux éclats.

Il est grand temps que je passe à la chorégraphie mise au point par Nath’ cet après-midi et censée attirer l’attention sur moi.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit. Et un, deux, trois, quatre,…

Jules et sa pote continue de tournoyer.

Je n’existe pas.

Je m’arrête de danser.

Jules s’en aperçoit. Finalement, c’était pas la peine que je me démène à faire ma « choré’ », si finalement c’est quand je ne danse pas qu’il se souvient de moi.

Jules s’avance en tirant Natacha par la main, toujours suivie par cette chose étrange qui remet en place une mèche de cheveux qui lui cache les yeux toutes les dix secondes. Très énervant, en fait.

Jules n’est plus qu’à un mètre de moi.

Cinquante centimètres.

Natacha se retourne. Me regarde droit dans les yeux. Se tourne vers Jules et hurle pour couvrir le boum-boum de la musique.

-           Y’a un mec mignon là-bas ! Viens. Il est carrément canon.

Le mignon-carrément-canon en question n’est pas moi, mais un petit jeune peroxydé en mini tee-shirt et pantalon moule-cul qui s’agite dans tous les sens.

Si encore elle avait dit : « un mec plus mignon », ç’aurait été moins abominable. Mais là, même pas. « Un mec mignon », ça sous-entend « pas comme celui-là », celui-là étant MOI.

Suis abattu.

Jules, moins, parce que je le vois qui tourne la tête vers le minet d’à peine 20 ans. Sa copine le prend par la main et le tire vers cette concurrence absolument déloyale.

Le pire, c’est que Jules suit !

Il me laisse en plan pour aller se trémousser face au gamin. Quant à Natacha, elle se tourne enfin vers le type à la mèche rebelle sans plus se soucier de Jules, un peu comme une maman qui se plonge dans un roman à l’eau de rose après avoir planté son gosse devant un dvd, histoire d’avoir la paix.

Et moi, je me sens comme une vieille cassette VHS : ringard.

Vais tenter de noyer mon désespoir dans un gin tonic.

***

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[1]    Chorégraphe de l’émission de télévision Star Académy, diffusée sur TF1.