Lundi 11 octobre

9h45

– Nathalie entre dans mon bureau. Elle s’assoit dans un des fauteuils. Muette. Ai le sentiment d’un déjà-vu.

-           Tu l’as encore croisé ce matin ?

Elle hoche de la tête.

-           Dans la rue ?

Re-hochement de tête.

-           Il t’a parlé ?

Elle lève les yeux au ciel. Je crains qu’elle tombe dans les pommes.

-           Il doit bosser pas loin,  je suggère.

Nathalie se redresse sur son siège.

-           Plus proche que tu ne l’imagines, susurre-t-elle en pointant du doigt le mur à droite de mon bureau. C’est ton nouveau voisin !

Je tourne la tête vers la cloison dans l’espoir de voir quelque chose à travers avant de me ressaisir.

-           Impossible. Le bureau d’à côté est occupé par Véronique. Et elle n’a rien d’une bombe sexuelle…

-           Je peux t’assurer que dans le box voisin se trouve un étalon. Un pur sang. Une vraie belle bête de compétition.

Mon téléphone sonne. Le nom de Gloria clignote sur l’écran.

-           Big Chef vous attend dans la salle de conférence dans 15 minutes.

-           Quelque chose de spécial ? je demande un peu inquiet.

-           Vous verrez bien. Ah, dites à Nathalie qui est vautrée dans votre fauteuil de venir également, lance Gloria avant de raccrocher.

Aie.  J’espère que cette réunion-surprise n’est pas la suite de la petite entrevue que j’ai eue avec Big Chef. Petite entrevue dont je n’ai toujours pas parlée à Nath’. Après tout, puisque Big Chef veut nous voir maintenant, vais le laisser amener la chose. Oui, mais s’il met sur le tapis le fait que nous avons parlé lui et moi, Nathalie va m’en vouloir à mort. Arrrrggghhhh !

Suis totalement perdu dans mes pensées. J’entends à peine la porte du bureau de ma voisine et de mon nouveau voisin se fermer. Vois juste deux ombres s’éloigner.

Nathalie s’enfonce dans le siège.

-           Big Chef nous attend pour une petite réunion, je dis du bout des lèvres.

-           Putain de merde, hurle Nath’ en se levant d’un bond. Et tu me dis ça maintenant. Faut que je file au toilettes me remaquiller.

***

12h30

– Entre deux bouchées de nems pour moi, et rien pour Nathalie.

-           Alors ?

-           Alors quoi ?

-           Ne fais pas le type blasé qui ne mate plus les autres mecs sous prétexte qu’il est casé, soupire Nath’ exaspérée. T’en penses quoi de Hanz ? Belle bête, hein ?!

-           Plutôt bizarre, en fait…

***

La petite réunion de Big Chef n’avait qu’un but : nous présenter Hanz, l’assistant de Véronique et par conséquent – effectivement – mon nouveau voisin de bureau.

-           Quand Jacques m’a proposé le poste de responsable des sports, j’ai dit « oui,  à une seule condition : que Hanz vienne avec moi », a proclamé Véronique.

Le Hanz en question regardait l’assistance, autrement dit tout le comité de rédaction, avec une espèce de supériorité. Une chose est sûre, ce type en jette. Á côté de lui, Véronique fait « fille de ferme ».

Hanz est brun, les cheveux savamment coiffés façon je-viens-de-me-lever – un vrai bordel capillaire organisé – avec des mèches dans tous les sens, mais pas une de travers (allez comprendre comment ça marche !). Il porte le costume (« Hugo Boss, nouvelle collection » m’a susurré Nathalie pendant le discours de Big Chef) comme un mannequin – avec une nonchalance étudiée et un nœud de cravate que je n’arriverai jamais à faire, même en m’y prenant une semaine à l’avance.

-           Le costume, d’accord, mais, et ce qu’il y a dedans ?

J’ai bien cru que Nathalie allait baver. Comme toutes les filles que Hanz a croisées dans les couloirs du journal en sortant de la salle de conférence.

-           Tu l’as vu traverser le plateau. Epaules carrées, torse gonflé, fesses rebondies, démarche de lion. Et ses mains ? Non mais t’as vu ses mains ? Et son regard ?

-           Quoi son regard ? je lui demande perplexe.

Elle se penche vers moi et murmure :

-           Il sent le cul !

Nath’ a, de toute évidence, un odorat nettement plus développé que le mien.

-           Quand il te regarde avec ses grands yeux bleus, tu ne sais pas s’il va te sauter sur le bureau ou s’il préfère attendre pour te culbuter sur le photocopieur

-           Et ben, il te fait de l’effet !

-           Pas à toi ? C’est une bombe ce type, hein ?

-           Rien à dire. C’est vrai. Mais…

-           Y’a pas de mais.

-           Je le trouve bizarre.

-           Bizarre comment ? demande Nath’.

-           Sais pas. Je ne le sens pas. Ou plutôt si. Je le sens… bizarre.

-           T’es jaloux !

-           Jaloux, pourquoi ? je demande.

-           Parce que je vais le mettre dans mon lit.

***

M’en fous, j’ai ce qu’il faut dans le mien.

***

Correction : j’avais.

Aujourd’hui, suis censé encore faire la gueule à Jules. Lui me paraît en faire autant car pas eu de ses nouvelles à part le SMS dans lequel il me transmettait un bisou de Natacha.

***

Quand on décide de faire la tête, y a t’il un délai à respecter ? En dessous de combien de temps la bouderie ne fait-elle pas assez sérieuse et au-delà de combien l’est-elle trop ?

Outre la question de la durée, quelle(s) bonne(s) raison(s) justifie(nt) une bouderie ?

Et l’une dans l’autre : quelle durée en fonction de quel motif ?

***

Autrement dit :

Question essentielle : Natacha vaut-elle la peine que je boude Jules ?

Question essentielle bis : si oui, jusqu’à quand ?

***

Ai comme la vague impression que finalement, l’amour m’ouvre les yeux sur moi-même et fait que désormais, je me remets en question. Moi qui m’étais toujours trouvé totalement crétin lorsque j’étais amoureux, voilà que, non seulement, je ne suis pas aveugle, mais qu’en plus, j’y vois clair !

L’amour : mieux qu’une psychothérapie ?

***