Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Quatre filles et un garçon
16 octobre 2010

Samedi 16 octobre - 1

Samedi 16 octobre

6h10

– On sonne. Ma mère. Ou plus précisément Renato, le chauffeur de Lucio. Rien à voir avec le Renato[1] de la Cage aux folles. Celui qui est devant ma porte tient plus du géant aux dents d’acier des anciens James Bond que du patron de la célèbre boîte transformiste.

Ma mère, elle, m’attend dans l’énorme Mercedes noire aux vitres teintées que son sicilien lui met à disposition pour aller, entre autre, chez le coiffeur.

J’ai un mal fou à ouvrir la porte de la voiture tellement elle est lourde.

-           C’est le problème des voitures blindées, me précise ma mère.

Elle porte une paire de lunettes noires qui ressemble à l’arrière d’un autobus et un foulard blanc sur les cheveux. On dirait Jackie Kennedy.

-           Pourquoi Lucio a-t-il une voiture blindée ? je lui demande en me glissant sur la banquette en cuir. Et pourquoi te promènes-tu avec ?

Surtout pour aller chez le coiffeur !

Ma mère tourne la tête vers Renato et revient très rapidement vers moi.

Dans le rétroviseur, je croise le regard sombre du chauffeur sicilien. Quand il s’en aperçoit, il me fait un petit clin d’oeil, met le contact et démarre en trombe.

-           Oh,…Heu,…, tu sais les chemins sont parfois mauvais en Sicile et un cailloux peut vite heurter une vitre et la casser. Alors avec des fenêtres blindées, on peut…, enfin, bref… Nous ne sommes pas là pour parler voiture, hein ?

Elle tourne le visage vers la fenêtre.

-           Mon chéri, je pense que nous devrions garder le silence jusqu’à notre arrivée et profiter de ces instants pour nous concentrer sur notre mission.

***

Mouai. N’ai pas été particulièrement convaincu par les explications de ma mère sur les avantages d’une voiture blindée pour se trimballer sur les chemins caillouteux siciliens. Et encore moins pour aller se faire son brushing.

***

Crotte de bique !

Suis parti tellement vite – et surtout totalement terrorisé par le chauffeur de ma mère – que j’en ai oublié mon téléphone portable. J’espère que Jules ne va pas croire que je fais à nouveau la tête si je ne réponds pas à ces appels.

***

Pendant tout le trajet de chez moi à l’aéroport, ma mère est restée muette comme une carpe – elle d’habitude si bavarde –, c’est louche. Me suis dit qu’elle serait sûrement plus prolixe durant le vol pour la Suisse.

Raté ! Pas un mot. Me demande si ma mère n’a pas peur de quelque chose. Ou de quelqu’un. Faut dire que l’équipage du jet de Lucio a l’air tout aussi patibulaire que le chauffeur de la Mercedes blindée.

***

Á l’aéroport suisse, ou plutôt l’aérodrome – en fait, un hangar au bord d’une bande de bitume coulée au milieu des champs –, nous attendait un type habillé d’une drôle de tunique et de sandales en plastic transparent : tenue vraiment bizarre pour un mois d’octobre au fin fond de la Suisse. Il tenait un petit panneau avec le prénom de ma mère et le mien. Derrière lui, était garé un minibus sur lequel on pouvait lire « Domaine de Saxenburztenwald – espace d’amour et de paix intérieure ». Ma mère a foncé sur lui avec un grand sourire, traînant son énorme valise à roulette et moi, juste derrière.

Le type au look de beatnik helvétique s’est penché pour nous faire la bise. Ma mère s’est laissée faire ; moi, un peu moins.

-           Il faut qu’on se dépêche d’aller à la gare chercher les autres participants, a dit notre guide en hissant nos bagages dans le minibus.

Dans sa bouche, le verbe « se dépêcher » prenait un drôle de relief vue la lenteur avec laquelle il parlait.

***

Trois questions m’ont traversé l’esprit :

1 – Espace d’amour et de paix intérieure, c’est un truc comme une secte ?

2 – Pourquoi ai-je dis OUI à ma mère au lieu de NON ?

3 – Qui sont les 4 autres personnes qui viennent de s’asseoir à côté de nous ?

Une chose est sûre : personne n’a l’air ravi d’être ici, sauf ma mère qui s’émerveille de voir toutes ces vaches dans les prés et ces jolis petits chalets en bois.

-           On dirait qu’un gros coucou va en jaillir pour sonner l’heure !

***

Après une heure de minibus sur une route en lacets durant laquelle j’ai bien cru que ma voisine, une grosse dame dans un imperméable fuchsia, allait me vomir dessus à chaque virage, nous sommes arrivés au domaine-machin-chose.

Je m’attendais à un château genre celui de la Belle-au-bois-dormant, et c’est finalement dans la cour boueuse d’une vieille ferme que notre chauffeur hippie nous a lâchés. Par-ci, par-là, des poules et des canards pataugeaient dans la bouillasse. Tout le monde a eu l’air de trouver ça très dépaysant et s’extasiait, les narines au vent, à renifler les odeurs de purin

-           Mon chéri, ce que tu peux être snob ! m’a lancé ma mère quand je lui ai fait remarquer qu’elle avait les deux talons plantés dans une bouse de vache. Au diable les apparences, nous sommes ici pour aller à l’essentiel ; trouver la vérité.

Personnellement, j’ai trouvé qu’avoir les deux pieds dans la merde avait quelque chose de très vrai, justement.

Une femme brune d’une cinquantaine d’années, vêtue d’une tunique turquoise et les pieds ficelés dans des sandales (ça doit être la mode automne-hiver suisse) a déboulé d’un hangar, une immense fourche à la main.

-           Soyez les bienvenus. Je suis Rachel. Je vais vous montrer vos chambres.

***

Nous avons slalomé entre des flaques boueuses pour arriver jusqu’au corps principal de la ferme. Je croisais les doigts pour ne pas passer les prochaines nuits, allongé sur un matelas rempli de paille, au milieu d’une horde de cochons.

Ouf ! Salon splendide avec poutres apparentes et énormes canapés en cuir ; salle à manger-cuisine avec batterie de casseroles en cuivre scintillant ; chambre à la décoration rustique avec grand lit en bois et armoire grosse comme un coffre-fort de la banque de France (n’en ai jamais vu un, mais ai l’idée que ça doit avoir cette taille).

-           Rendez-vous dans 15 minutes dans la bibliothèque pour notre « moment de découverte intime», nous a informés Rachel en refermant l’énorme porte en bois massif de la chambre.

Me suis demandé si « découverte intime » voulait dire qu’on allait tous se mettre nus et se tripoter, les uns les autres, des endroits très… personnels. Pas du tout envie de voir la grosse dame sans son imper rose ; ni qu’elle me tripote ; ni personne d’autre non plus. Et surtout pas devant ma mère.

Ma mère, justement, m’a jeté un regard désespéré. Ai cru qu’elle commençait à revenir à la raison et qu’elle comprenait enfin que ce week-end n’est vraiment pas fait pour nous. Erreur.

-           Je me demande bien comment on doit s’habiller pour ce genre d’activité, a-t-elle soupiré en fouillant dans sa valise avant d’en sortir une saharienne orange.

***

Question inutile si on se retrouve tous à poil à jouer à touche-pipi

***


[1] Renato Baldi, interprété au théâtre par Jean Poiré, puis par Marcello Mastroiani au cinéma, aux côtés de Michel Serrault dans le rôle de Zaza.

Publicité
Publicité
Commentaires
Quatre filles et un garçon
  • Chaque semaine, vous en saurez plus sur Max, Lucie, Marie, Magali et Nathalie. Vous allez les suivre dans une expérience incroyable, sur leurs lieux de travail, dans leur petit chez eux et... au fond de leur lit ! Bonne lecture à tous
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Quatre filles et un garçon
Publicité