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Quatre filles et un garçon
16 octobre 2010

Samedi 16 octobre - 3

Isaac et Rachel, qui ont pris beaucoup de notes pendant nos confidences respectives – et particulièrement lorsque ma mère a raconté que petit, j’hurlais sur la plage quand elle m’asseyait dans un bateau gonflable rempli d’eau (à cet instant, j’ai même surpris un regard condescendant entre nos hôtes. Me demande bien pourquoi ; y’a vraiment rien de honteux) –, Isaac et Rachel, donc, nous ont abandonnés aux bons soins du hippie en sandalettes et au beau milieu d’un troupeau de vaches pour ce qu’ils ont appelé « l’atelier ACCA,  Amour - Confiance - Compétition - Adversité », durant lequel chaque couple doit gagner une bataille contre les autres et ce, malgré toutes les saloperies dites quelques minutes auparavant.

Chacun s’est donc vu remettre un balai, une fourche ou une pelle avec pour mission – une fois parfaitement bien outillé – de ramasser le maximum de tonnes de paille pourrie et de kilos de bouses avant le brunch. Personne en revanche n’a reçu une tenue adéquate pour cette activité à mille lieues des habitudes de chaque participant et surtout totalement incompatible avec le pantalon en lin beige que je porte. Du coup, ma mère parait totalement à sa place dans sa saharienne orange fluo qui rappelle étrangement l’uniforme des prisonniers américains pour lesquels on pourrait imaginer que certains échapperaient à la chaise électrique en échange d’une condamnation à ramasser de la merde de bisons le restant de leur vie dans un ranch du Far West.

***

Je me demande si, sous couvert d’un pseudo exercice ludo-psychologique, l’atelier ACCA ­– qui devrait plutôt être renommé CACA vu l’activité principale qu’on va y faire – n’a pas pour unique but de nous transformer en esclaves et de nous faire bosser gratuitement.

***

Nous avons suivi notre guide jusque dans un hangar éclairé par des néons. (Me demande vraiment pourquoi on continue a à utiliser ce genre d’éclairage qui a la fâcheuse tendance à transformer le teint le plus halé en vieille peau blafarde.(En même temps, les vaches s’en foutent d’avoir mauvaise mine).

Ma mère qui a trouvé une copine en la personne de la grosse dame en rose prodigue ses conseils :

-           Je vous assure que c’est très efficace. Juste après le dessert, je prétexte d’avoir à me remettre un coup de rouge à lèvre et je file aux toilettes. Deux doigts dans la gorge et hop, j’envoie tout dans la cuvette. Je n’ai pas pris un gramme depuis que je connais Lucio. Et pourtant, qu’est-ce qu’on mange comme pâtes et comme pizza.

La grosse dame qui a le choix entre perdre cinquante kilos et perdre son mari est perplexe.

-           Vous ne craignez pas qu’avec tous ces kilos en moins, la peau de mon ventre pende jusqu’à mes genoux ?

-           Une petite opération de rien du tout et vous serez tendue comme un tambour. Vous connaissez la Baronne de Flügenshein ? demande ma mère.

Le visage de la dame en rose s’illumine.

-           Bien sûr. Quelle femme magnifique ! Nous étions invités pour ses cinquante ans dans sa villa de Monaco, l’année dernière.

-           Cinquante ans !?  s’esclaffe ma mère. Cinquante ans de chirurgie esthétique. On raconte que sa première liposuccion, c’est sa femme de ménage brésilienne qui lui a faite avec un des tout premiers aspirateurs. Les brésiliens sont très fort en chirurgie esthétique ! Depuis, la baronne est refaite de la tête aux pieds. Et quand les chirurgiens en ont terminé avec le bas, ils rattaquent le haut. C’est un chantier perpétuel.

-           Vous êtes sûre ? s’étonne la femme en rose. Ça parait si naturel.

-           Et pourtant. Tout est plus faux qu’une Rolex made in China. Ma mère s’arrête et attrape sa nouvelle amie par le bras. De vous à moi, j’ai deux informations top secrètes : la baronne de Flügenshein à 75 ans. ; Et si ça vous intéresse, je connais l’adresse de sa clinique.

Une lueur d’excitation traverse le regard de la grosse femme.

-           Mais attention ! Cette conversation doit rester strictement entre nous, prévient ma mère pendant que la dame sort son agenda Vuitton. Souvenez-vous ce que Isaac nous a dit : « tout ce qui se dit ici, reste ici ».

***

-           Mesdames et messieurs, nous appellent l’helvète en sandales, je vous laisse avec Harry qui va animer notre atelier ACCA.

Reprenons : Isaac est psychologue ; Rachel est sexologue. Vu l’activité prévue, Harry doit être le garçon de ferme.

Question : Me demande bien à quoi peut ressembler un garçon de ferme chargé de nous faire ramasser vingt-cinq tonnes de bouse en moins de soixante minutes soit environ quatre tonnes par personne et par heure ?

Réponse : Waou !

***

Harry est sorte de Jim Morrisson avec de grands cheveux bruns légèrement frisés qui encadrent un visage aux traits fins – presque enfantin – et un regard sombre et brûlant à la fois. Malgré la température qui frôle les dix petits degrés, Harry est torse nu et les coups de fourche qu’il plante dans un énorme tas de paille fraîche bandent tous les muscles de ses bras et de son dos. Il porte un jean moulant et particulièrement usé aux genoux, aux fesses et à un endroit du devant où se trouve une partie visiblement avantagée de son anatomie. Le reste de sa personne est tout aussi ravissant : torse imberbe aux pectoraux saillants ; ventre plat ou presque – seules deux rangées parfaites d’abdominaux sublimement dessinés créent des creux et des bosses.

Cette vision érotico-campagnarde réveille la Lady Chaterley qui est en nous. Je veux dire, en toutes les femmes présentes dans l’étable – même ma mère en reste bouche bée –, et en moi, bien sûr. Les maris, eux, regardent le jeune homme avec une haine farouche au fond des yeux. Ça sent le combat de coqs. En plus de la bouse de vaches.

Harry donne un petit coup du manche de sa fourche sur le sol en béton de l’étable. L’effet est immédiat et me – ou devrais-je dire nous – ramène à la réalité : le concours de ramasseurs de bouses. Chaque couple se voit attribué un espace à déblayer. Et 5, 4, 3, 2, 1, c’est parti pour une heure de décrottage !

Je ne connaissais pas à ma mère un tel esprit de compétition. Sitôt le décompte terminé qu’elle se saisie de sa pelle et qu’elle racle le sol pour en retirer le maximum de bouillasse.

Voyant ça, la dame au maquillage fluo se lance à son tour dans la course, aidée de son mari armé d’une fourche grâce à laquelle il soulève des mètres cubes de paille dégoulinante. Face à une telle débauche d’énergie, la grosse dame en rose donne un coup de coude à son mari qui répond par un grognement avant de plonger sa pelle dans une bouse pesant bien cinquante kilos à elle seule. Du coup, je cherche moi aussi une bouse qui rivaliserait avec celle de mon voisin. Manque de bol, je crois qu’on nous placés, ma mère et moi, dans un espace occupé d’ordinaire par des vaches constipées ou anorexiques. N’y’a que des petites crottounettes de rien du tout.

***

Harry vient de siffler la fin du défi (ai vu tous ses abdos se contracter à ce moment-là. Mmmm) et va nous communiquer les duos gagnants de l’atelier CACA. Pardon, de l’atelier ACCA.

Premier

La grosse dame en rose et son mari.

Ils remportent la victoire haut la main.

Devaient se trouver dans une zone habitée par des vaches voraces.

Second

Le monsieur dragueur de jeune fille au pair et sa femme surmaquillée

Dans l’effort, la pauvre a remplacé son fard à joue rouge vif

par une couche de bouse vert prairie.

Troisième

Ma mère et moi.

Sûrement la faute à des vaches qui doivent suivre un régime hypocalorique

vu la faible teneur en bouse de notre zone à nettoyer.

***

L’étable est désormais nickel-chrome. On pourrait presque manger par terre ! Harry fait le tour des équipes pour féliciter les participants un à un. Les dames ont droit à une bise et les messieurs – et donc moi – se voient gratifier d’une poignée de main virile.

Ce qu’ils peuvent être conventionnels, ces suisses !

***

Autre résultat surprenant de ce concours de ramassage de bouses de vaches, les couples ont l’air plus détendus que pendant la séance de « découverte intime » durant laquelle l’un bavait sur l’autre. Chacun y va de son anecdote et les blagues « scatos » fusent. Les hommes rient comme des tordus et les femmes prennent des petits airs gênées avant de se marrer à leur tour comme des baleines. Il n’y a qu’Isaac et Rachel pour garder leur sérieux. En même temps, sont là pour bosser, eux.

Et comme les travaux de la ferme, ça creuse. On mange. Et on remange. Sauf la grosse dame qui boit verre d’eau sur verre d’eau sous le regard attendri de son mari qui l’encourage à grands de coup de « suis fier de toi. Tu vas redevenir ma déesse ! ».

Au moment du café, ma mère tapote avec sa cuillère sur son verre. J’espère qu’elle ne va pas remettre sur la table l’histoire de la chatte de Monica.

-           Et maintenant, je vais vous chanter une petite chanson ! dit-elle avant de se lever sous les applaudissements. Même Rachel et Isaac tapent des mains avant de replonger dans leurs notes.

***

Y’a bien longtemps que je n’ai pas entendu ma mère pousser la chansonnette. Faut dire que depuis qu’elle court aux quatre coins de la planète, elle n’a plus le temps d’aller chanter dans sa chorale.

Dommage, c’était plus rigolo que ses parties de golf à l’autre bout du monde et ses brunchs sur le yacht de Lucio.

***

Dans le couloir qui mène à notre chambre, Isaac nous arrête ma mère et moi.

-           Je crois que ce n’est pas la peine de poursuivre votre séjour parmi nous, nous annonce le psy. Tout va bien entre vous. Je n’ai senti que de l’amour entre une mère et son fils. Et réciproquement. Mazel Tov !

Je vois le regard de ma chère mère pétiller. Suis content. Chouette, on va donc rentrer. Vais pouvoir passer mon dimanche à écouter les dizaines de messages désespérés de Jules sur mon répondeur pendant que je préparerai un petit dîner pour fêter nos retrouvailles. A moins que je n’échoue dans un bar avec les filles pour me saouler parce que Jules ne m’aura finalement laissé aucun message.

Ma mère serre la main d’Isaac.

-           Quel dommage de vous quitter déjà. Nous allons rater l’atelier « plumage de poulet », soupire-t-elle avant de disparaître dans les escaliers.

Suis pas loin de regretter aussi ce nouvel exercice qui, peut-être, sera animé par le sublime Harry vêtu pour l’occasion d’un mini – et tellement sexy – maillot de bain Aussie Bum. (Non, l’idée n’est pas idiote. Pourquoi ne ferait-il pas l’atelier « plumage de poulet » en maillot de bain australien, hein ? Il a bien orchestré le concours de ramassage de bouses de vaches, torse nu, en jean moulant ! Alors ?)

Suis encore tout perdu dans mes pensées de Harry-quasi-nu-allongé-sur-un-tas-de-plumes, quand une main se pose sur mon épaule.

-           Vous habitez Paris ? me demande Isaac.

-           Heu, oui.

Il me sourit bizarrement et sort de sa poche un petit papier.

-           Voici l’adresse d’un confrère très compétent. Je crois que vous devriez lui rendre visite. J’ai également rédigé une petite lettre de recommandation que vous pourrez lui remettre. Je pense que ça pourrait vous faire du bien de travailler sur certains points…

***

Questions : Dois-je conclure que je suis bien un psychopathe comme mes pulsions meurtrières vis-à-vis de Natacha me l’ont laissé penser ? Le psy a-t-il détecté en moi l’assassin qui sommeille ? Vais-je un jour me réveiller les mains couvertes du sang de Natacha et ses cheveux enroulés autour de la lame de mon mixer ? Suis-je une sorte de Dexter[1] à la française ?

***


[1] Dexter est un personnage de roman, puis de série télévisée. Créé par Jeff Lindsay, il est un expert médico-légal qui traque les tueurs en série quand il n’en est pas un lui-même.

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